Deux allégories dans ce texte : le sel de la terre et la lumière du monde. Ou plutôt trois allégories. « Vous êtes le sel de la terre et la lumière du monde » nous dit Jésus. Il aurait pu dire vous serez mais non c’est au présent. « Vous êtes » résonne avec « je suis » : le nom même de Dieu. En disant cela, Jésus affirme que nous sommes tous enfants de ce « Je suis » qui est à l’origine de l’univers, que nous sommes de cette race-là, capable de faire émerger de l’être, d’inventer du neuf. Jésus nous dit ainsi que nous sommes des créatures capables de Dieu. C’est sachant cela que nous pouvons prendre courage pour entendre à quelle mission nous sommes appelés. Nous avons si vite peur du néant qui nous menace, nous agresse, c’est vrai. Seulement, nous, nous sommes du côté de l’être. Fort de cette assurance d’être appelés à la ressemblance de Dieu, nous pouvons entendre avec humilité que déjà maintenant nous sommes sel de la terre, lumière du monde. Avec humilité car c’est l’œuvre de Dieu moyennant notre consentement. Quand Jésus leur dit « Vous êtes le sel de la terre…

Vous êtes la lumière du monde », le sel et la lumière ne comptent que par rapport à la terre et au monde ! En disant à ses disciples qu’ils sont le sel et la lumière, Jésus les met en situation missionnaire. Il leur dit: « Vous qui recevez mes paroles, vous devenez, par le fait même, sel et lumière pour ce monde : votre présence lui est indispensable.  « Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel devient fade, comment lui rendre de la saveur ? Il ne vaut plus rien : on le jette dehors et il est piétiné par les gens. » « Devient fade », c’est le mot grec “ morante “ qui peut s’appliquer au problème du goût des aliments, mais qui est bâti sur le terme “moros ». Moros“ veut dire “ fou, insensé “. L’interprétation d’emblée, c’est que si le sel perd sa salinité, il devient fou, il perd tout ce qu’il avait, et est devenu l’inverse de lui-même. Quel est l’inverse de fou ? c’est “ sage “ ; donc le sel avec tout son sel, c’est la sagesse ; mais s’il perd sa sagesse, alors il ne sert plus à rien. Donc, l’interprétation ici du symbole du sel est dans l’ordre de la sagesse. Le Christ est maître de sagesse, et évidemment les disciples viennent apprendre la sagesse.  Il s’agit bien sûr de la sagesse divine qui comme le dit St Paul est folie pour les grecs et scandale pour les juifs.

La sagesse de Dieu est une sagesse de vie, d’amour : sagesse qui fait vivre l’être aimé jusqu’à donner sa vie sur une croix. Marc dont l’évangile sur ce point est certainement le plus authentique et le plus primitive dit la chose suivante : “ Si le sel perd son sel…“, c’est volontairement paradoxal. Nous dirions plutôt : « Si le sel perd sa salinité, son mordant, sa capacité de donner du goût, de conserver “ Si le sel perd son sel », c’est très percutant, il parle d’une dénaturation de l’être, comme si ce que nous sommes fondamentalement se pervertissait.

Ce que nous sommes fondamentalement, c’est d’être « capable de Dieu ». Ne nous dénaturons pas.  Jésus est la Lumière du monde. Les disciples ont pour mission d’apporter la Lumière au monde. Ce qui, évidemment, est clairement indiqué par la première image, celle de la ville, la ville plantée par Dieu au sommet d’une montagne ; eh bien, n’importe quel juif à l’époque sait ce qu’est cette ville, c’est Jérusalem, c’est la cité sainte fondée par Dieu. La cité sainte, la Jérusalem céleste qui descend du Ciel, toute illuminé de la sagesse de Dieu et qui doit transmettre le salut et la lumière du salut au monde. L’image de la Cité sainte de Jérusalem est l’image classique dans l’Ancien Testament de l’ensemble du peuple de l’Alliance et élargie maintenant à l’image du peuple de la nouvelle alliance. La barre est haute pour les braves disciples. Il y a de quoi être impressionné et même inquiets par rapport à cette mission qui leur est confiée.

Un des sens ici de cette parabole c’est de dire “ Ne vous inquiétez pas, vous n’avez pas à être constamment inquiets, à vous dire est-ce que j’ai réussi mon travail, est-ce qu’ils vont écouter, et constamment chercher le succès de votre apostolat. C’est Dieu qui vous a mis ainsi au sommet du monde, nécessairement vous serez vus, ce n’est pas à vous de fabriquer votre visibilité, nécessairement votre lumière sera vue, ne vous inquiétez pas “. Puis c’est repris ensuite par l’image de la lampe. Alors, à quoi cela fait-il allusion ? Cela fait référence au rite accompli dans la vie liturgique juive pendant la fête de “ Hanouka“, c’est à dire “ la fête de la Dédicace. “ Cette fête de la Dédicace était la fête de la re-consécration du temple après sa profanation par Antiochus Épiphane à l’époque de la révolte de Judas et des autres macchabées.

Il y a un rite spécial qui est justifié par un petit midrasch (petite légende théologique) qui va expliquer le rôle de cette lampe qui n’est pas n’importe quelle lumière à mettre sur n’importe quel lampadaire. Ce conte théologique raconte qu’après la persécution et la profanation du temple, la présence de Dieu a quitté le temple pour se réfugier dans une grotte. C’est dans cette grotte qu’une petite lumière symbolisant la présence de Dieu a continué à brûler pendant toute la persécution. C’est donc le symbole de la présence de Dieu. C’est donc symboliquement avec cette lumière sacrée qu’on allume chaque jour et l’une après l’autre, dans chaque maison, les lampes du chandelier à sept branches lors de la fête de Hanouka. Cette lumière qui a servi à allumer les autres lampes est ensuite placée sur le lampadaire comme signe de la présence de Dieu. Quant au boisseau, c’est une grosse marmite. C’est absurde, si on a allumé une lampe, de la couvrir ensuite d’une marmite. Qui aurait cette idée !

La lumière, c’est la présence de Dieu en nous qui ne peut être cachée sous le boisseau. L’évangile d’aujourd’hui suit immédiatement dans l’évangile de Matthieu la proclamation des Béatitudes : il y a donc certainement un lien entre les deux. Et nous pouvons probablement éclairer ces deux passages l’un par l’autre. Être sel de la terre, être lumière du monde, c’est vivre selon l’esprit des Béatitudes, c’est accepter de vivre selon des valeurs d’humilité, de douceur, de pureté, de justice. C’est être artisans de paix en toutes circonstances, c’est accepter d’être pauvres et démunis pour recevoir dans l’Eucharistie, lumière et sel en nous pour aimer en actes et en vérité. En voyant ce que les disciples que nous sommes font de bien, les hommes rendront gloire à notre Père qui est aux cieux. L’évangélisation n’est pas une conquête, ni la nouvelle évangélisation une reconquête, mais l’accueil confiant de ce que le Seigneur réalise petit à petit dans nos cœurs et dans nos vies. C’est cela le véritable témoignage missionnaire auquel chacun de nous, disciples du Christ, nous sommes invités à proclamer par nos vies.