La maladie est-elle la conséquence du péché ? A l’époque du Lévitique, la lèpre oui. Le corps est alors considéré comme le miroir de l’âme. Ce mal dégradant, qui enlève toute apparence humaine, met les chairs à nu et les fait tomber en pourriture révèle le péché du lépreux, mal redouté pour sa contagion. Ce mal se contracte par simple contact mais aussi par tout ce qu’a touché le lépreux. Aussi les humains fuyaient-ils le pauvre lépreux avec horreur, ils le chassaient loin de leurs regards, loin des villes et des routes, dans les déserts où rôde l’Esprit du Mal. Car un tel fléau était considéré comme le stigmate du péché, et le lépreux comme un pêcheur maudit par Dieu. C’est sous ses traits que les prophètes dépeignaient le peuple coupable : « de la plante des pieds au sommet de la tête, il n’y a rien de sain en lui (Isaïe, I, 6) ». La Loi juive déclarait le lépreux impur, et le traitait en excommunié, dont le contact communiquait la souillure. S’il lui arrivait de guérir, il devait se soumettre au jugement du prêtre, Aujourd’hui, nous ne disons plus que la maladie est systématiquement la conséquence de nos péchés, même si certains comportements abiment le corps et entraine une maladie. Nous ne sommes pas systématiquement responsables de nos maladies et de nos blessures. Par contre, nous sommes responsables de ce que nous faisons de nos maladies et de nos blessures.

Acceptons cette responsabilité. Au cœur d’une épreuve, le Seigneur attend quelque chose de nous.  Je ne sais pas encore quoi. Approchons-nous. Comme le lépreux, non coupable de sa lèpre, rendons-nous disponible à l’action guérissante et libératrice du Seigneur.

Un lépreux vint auprès de Jésus ; il le supplia et, tombant à ses genoux, lui dit : « Si tu le veux, tu peux me purifier. »

Le lépreux supplie, dit sa souffrance.  Il a fait confiance et Il a reçu la lumière, lumière pleine d’amour, de douceur et de compassion. Il a été guéri.

Il n’a cependant pas respecté les règles : double transgression, celle du lépreux et celle de Jésus qui l’a touché. Il a cru en Jésus qui l’a guéri. Comme pour le lépreux, dans l’épreuve, Dieu nous demande un acte de foi. De ce qui fait mal, peut surgir la supplication.

Du cœur brisé et broyé du lépreux, a jailli non seulement un cri de détresse mais aussi un acte de confiance en Jésus. Il est pauvre, exclu, malade. Arès sa guérison, transgressant l’ordre de Jésus de n’en point parler, il crie mais c’est l’action de grâce qu’il crie maintenant. Comment peut-il s’en empêcher ? Dieu agit dans ce qui en nous est en souffrance.  Il agit pour guérir mais aussi pour convertir. Il retourne notre cœur non seulement pour nous libérer du mal qui nous accable mais aussi pour mettre en nous la joie d’aimer et d’être aimé comme un pauvre. La nouveauté de l’Évangile, c’est que Jésus est venu nous apporter une nouvelle vie mais aussi une place dans la vie même de Dieu. Pour cela, il nous faut l’accueillir comme un mendiant. Le lépreux a compris que c’est dans sa pauvreté que l’on accueille la grâce.

La peur, l’angoisse, les blessures font parfois obstacle à cette descente en notre mal-être, dans notre pauvreté, là même où Dieu veut nous faire grâce.

Il existe un niveau, plus profond que notre mal ou notre malheur, plus profond que notre angoisse, en deçà de nos ténèbres, souvent enfouies dans le déni, neutralisé par nos mécanismes de défense, en attente d’être vraiment regardées et assouplies, il s’agit de notre ombre,  le pauvre, en nous, qui cherche à exister, silhouette famélique, cachée au creux de notre aveuglement, appelé par la lumière douce et miséricordieuse de Dieu à la lumière de notre conscience. Dans cette lumière, tout devient lumière, tout prend vie et couleurs.

Notre ombre, c’est ce qui, en nous, n’a pas pu advenir à la pleine lumière, ce qui en nous stagne dans les grisés de l’attente d’un regard de bienveillance. Notre propre regard sur nous-même est parfois si dur, pourquoi ne pas décider de nous aimer mieux? Nous sommes souvent tellement dépendants du regard des autres, pourquoi ne pas accepter de nous laisser mieux aimer en étant plus aimables? Nous mettons toute une vie pour accepter que Dieu nous aime infiniment mieux que l’ont fait nos parents, pourquoi ne pas, dès maintenant, accueillir dans la foi Celui qui jamais ne désespère de nous mais qui, bien au contraire, nous révèle la merveille que nous sommes à ses yeux.

De la guérison à l’action de grâce, cela la semble logique : « merci Seigneur, tu m’as guéri ». Plus difficile quand la guérison tarde avec les moyens humains que Dieu met à notre disposition, quand elle est tellement improbable, l’acte de foi semble alors être hors de portée. Arraché à la nuit, l’acte de foi est alors chemin de vie. Impossible de croire à la vie au creux de la mort qui s’annonce si ce n’est compter sur Dieu. A la fin des années 90, j’étais aumônier d’un centre hospitalier. En lien avec les aumôneries de Paris, nous avions organisé un séjour d’une semaine à Faucon pour les malades du SIDA, qui à l’époque se préparaient à la mort. L’un deux organisait l’atelier « bouquets liturgiques ». A Rungis, alors que nous achetions le matériel, je lui ai parlé de la louange que pouvait constituer un bouquet liturgique. Il m’ a dit : « dans la mort, dans laquelle nous sommes plongés, impossible de louer ».

Je ne l’ai pas cru. La suite m’a donné raison. Il s’agissait juste de croire à l’impossible. C’est de nuit et c’est difficile. Peut-être peut-on croire que c’est impossible mais avec Dieu, mystérieusement la nuit devient lumière, même si les ténèbres semblent avoir englouti cette lumière. Croire, faire confiance même à l’arraché, alors l’impossible avec Dieu devient le chemin. Des petits miracles ont eu lieu. José, champion de boxe qui s’est mis à dévorer alors qui qu’il ne mangeait plus, Tonio ancien toxicomane qui grimpe à toute vitesse, sans prévenir, dans les éboulis alors que l’on faisait tranquillement le tour d’un lac de montagne. Après son shoot à la vie, il est redescendu sans encombre par le même chemin. Ce mieux-être n’est que la partie immergée d’un travail enfoui qui nous échappe, c’est celui du Seigneur qui attend de nous un acte de foi pour agir: « si tu le veux, tu peux me purifier »

bmg