L’évangile proclamé en ce jour est la continuité exacte de celui qui a été proclamé dans la nuit de Noël. C’était l’annonce faite aux bergers et puis leur déplacement vers la crèche pour voir « ce qui leur avait été annoncé ».

Cette nuit-là, le Ciel pour les bergers s’était ouvert. L’invisible s’était ouvert, le Ciel physique n’étant qu’un signe, un appel à la rencontre avec l’invisible.

Par grâce, les bergers ont eu accès à la liturgie céleste, éblouissante de beauté et d’harmonie.

Comment mettre en relation la lumière céleste qu’ils ont vue et cet Enfant dans l’étable d’où irradie une douce lumière ? Devant l’Enfant, ce n’est plus le Ciel qui s’ouvre alors mais leur cœur. Ils vont alors pouvoir relier les deux événements.

Le Ciel qui s’ouvre est ce nouveau-né emmailloté dans une mangeoire. Leur cœur, dans l’expérience céleste qu’ils ont vécue a été rendu capable de reconnaître en ce nouveau-né, le Sauveur, le Messie, le Seigneur.

Le cœur des bergers a vibré dans cette double expérience : expérience de transcendance, de lumière grâce au ciel qui s’est ouvert pour eux mais aussi expérience d’humilité en cette humble étable, divinisée par la présence de l’Enfant-Dieu.

Les bergers ayant pu faire l’expérience de Dieu dans sa grandeur et son humilité peuvent alors adorer l’enfant-Dieu.

Marie tient l’enfant dans ses bras. Elle a été jugée digne de porter dans ses bras le Verbe de Dieu qui porte tout ce qui existe (He 1,3). Comment ne serait-elle pas envahie par la connaissance de Dieu, comme par les eaux débordantes de la mer (Is 11,9) ? Le Seigneur l’a choisie parmi tout ce qu’Il a créé ; il l’a bénie entre toutes les femmes (Lc 1,42) ; il lui a remis son Fils entre les mains ; il a confié son Unique. Ce petit est son Dieu, il est aussi son fils. Il est le Fils de Dieu et il est le Fils de Marie, Fils de Dieu par la divinité, Fils de Marie par l’humanité que Dieu a assumée en elle. »

« Marie retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur. » Arrêtons-nous un instant et contemplons Marie, en ce jour où nous la fêtons comme Mère de Dieu. « Marie méditait dans son cœur ». Le mot méditer traduit le verbe grec“συμβάλλω” (sumballo). Sumballo, c’est “jeter ensemble” et qui a donné le mot symbole. J’aimerai proposer comme traduction, plus proche du texte : « Marie gardait avec soin les paroles et les symbolisait dans son cœur. »

Il faut entendre cela avec la compréhension du symbole dans l’Antiquité. Le symbole était une pièce de terre cuite que l’on rompait lors d’un pacte par exemple et chacun en gardait un morceau et quand plus tard, un émissaire venait, il était porteur de l’un des morceaux et si ce morceau collait à celui qui avait été conservé, l’émissaire était reconnu comme envoyé par celui avec qui l’on avait fait le pacte. Avec cette image, j’aime à penser que Marie symbolisait dans son cœur ; c’est-à-dire qu’elle rapprochait deux éléments : d’une part la Parole de Dieu, d’autre part les événements qu’elle vivait. Symboliser Parole de Dieu et événements pour qu’ils s’éclairent réciproquement. Nous sommes peut-être habitués déjà à éclairer les événements de nos vies par la Parole de Dieu. Mais savons-nous approfondir la Parole de Dieu à la lumière des événements ? Il doit y avoir entre les deux une réciprocité, un va-et-vient qui donne toute sa force à la Parole divine et tout son sérieux aux événements humains. Cela suppose de prendre le temps de la méditation. Pour pouvoir “symboliser” Paroles de Dieu et événements, il nous faut, à l’exemple de Marie, apprendre à « garder la Parole. »

Apprendre de qui ? Sinon de Dieu lui-même ! C’est Lui qui agit dans le silence de notre cœur, souvent par compassion quand nous souffrons et en particulier pour l’enfant qui souffre et pour lequel Il craque d’amour. J’en ai fait l’expérience dans le grand désert affectif de l’Ecole militaire, où j’ai passé 8 ans. C’est le jour de la Toussaint, J’ai 11 ans. C’est mon anniversaire, je ne pense même pas qu’il pourrait être fêté ou tout du moins marqué d’un signe quelconque d’affection. Il me faut trouver un appui. Je le trouve. Mon vrai complice est un arbre, un beau marronnier en train de perdre ses feuilles. Je me surprends à laisser ma pensée vagabonder. Je lui confie ma tristesse et les questions qui en surgissent : « comment vais-je tenir dans ce grand vide intérieur qui me désespère ? » Pourquoi vivre dans ce temps qui s’est figé et qui semble interminable ? » Contre toute attente, une réponse comme une parole venant du profond de moi : « chaque instant a un sens car il est un temps pour l’éternité ». Toute une perspective s’ouvre alors à moi. Est-ce cela l’éternité, capable de féconder chaque instant de ma vie et de donner sens à mon histoire ?

Je veux garder comme un trésor ce moment et m’en rappeler. Je décide d’imprimer cette première expérience mystique dans ma mémoire comme un repère dans l’histoire de ma vie.

Aujourd’hui, je peux comprendre l’enfant que j’étais, perdu certes mais guidé, inspiré, traversé par un souffle qui le dépasse, le précède et qui anticipe aussi son avenir. Ce dynamisme est discret, il ne s’impose pas comme une évidence, il a soin de poser des pierres d’attente. Il est patient et voit la cohérence d’ensemble. Saint Paul l’appelle le dessein bienveillant de Dieu.

L’enfant de la crèche est ce dessein bienveillant de Dieu, pleinement béni puisqu’il est le Verbe fait chair. La bénédiction donnée par Dieu à Moïse et à transmettre à Aaron et à ses fils s’applique particulièrement à lui.

« Que le Seigneur te bénisse et te garde ! Que le Seigneur fasse briller sur toi son visage, qu’il te prenne en grâce ! Que le Seigneur tourne vers toi son visage, qu’il t’apporte la paix !” Quant à nous et dans le contexte de la crèche, cette bénédiction peut se lire dans un double mouvement.  Entendre cette bénédiction pour soi ou l’adresser à un autre, c’est supplier Dieu de nous éclairer de sa lumière, de tourner vers nous son visage et de nous donner la paix.

Dans l’adoration de l’Enfant-Dieu, c’est nous qui approchons notre visage de celui du Seigneur comme si nous voulions recevoir de Lui, dans sa folle incarnation, la capacité d’accueillir du Seigneur l’Alliance entre le Ciel et de la terre. Quand nous adorons nous symbolisons. C’est ce qu’ont fait les bergers quand ils ont relié liturgie céleste et l’adorable simplicité de la crèche. C’est ce que fait Marie quand elle « symbolise » tous ces événements. Elle le fera plus douloureusement au recouvrement au temple, mais aussi quand Jésus quittera la maison pour la mission, et dans un paroxysme de souffrance et de don de soi, dans un cœur transpercé au pied de la Croix. Alors dans son cœur, Ciel et terre s’harmonisent, même quand tout semble piétiné, même quand la beauté du Ciel et la déréliction du Christ sur la Croix se percutent. Scandale pour les Juifs, folie pour les païens. Mater dolorosa certes mais debout dans ce travail de la grâce en elle, travail de symbolisation au degré le plus élevé et le plus douloureux.  La folie de l’Amour du Christ et de Marie éclaire le monde à jamais.

Au cours de cette Eucharistie demandons la grâce d’un cœur qui symbolise.  Que 2021 soit dans nos vies le signe de l’Alliance entre le Ciel et la terre. Que nous puissions incarner en actes et en vérité cette Alliance.

L’Eucharistie est par excellence le lieu de la « symbolisation » au sens de la phrase « Marie gardait avec soin ses paroles et les « symbolisait dans son cœur ». Cette Eucharistie, dans cette célébration où nous fêtons Marie, mère de Dieu est le lien par excellence où Ciel et terre se rencontrent.