Comment comprendre l’invitation du Christ de manger sa chair, boire son sang ?

Il n’y a guère de description plus imagée ou plus surprenante de l’union indissoluble d’une vie dans une autre. En hébreu, l’expression « de chair et de sang » désigne l’être tout entier. Christ se donne tout entier à chacun d’entre nous.

«Oui, je vous le déclare, c’est la vérité: si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez pas son sang, vous n’aurez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang possède la vie éternelle et je le relèverai de la mort au dernier jour. Car ma chair est une vraie nourriture et mon sang est une vraie boisson. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure uni à moi et moi à lui. Le Père qui m’a envoyé est vivant et je vis par lui; de même, celui qui me mange vivra par moi. » Avant d’inviter ses disciples à manger son corps et boire son sang, Jésus fait le lien avec la multiplication des pains.

Le passage qu’il initie ici, c’est l’invitation à contacter notre soif spirituelle ; soif de sens, d’amour, et de cohérence, livrées dans notre cœur par la Source qu’est le Cœur de Dieu. Goûter à cette eau pure, c’est désirer passer de la nourriture terrestre à la nourriture spirituelle. « Moi, je suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura jamais soif. » Lors de la multiplication des pains, la foule avait été fascinée par ce prédicateur, guérisseur. On en avait oublié la faim et l’on ne se souciait que de l’instant présent ? Jésus apporte quelque chose de nouveau. Sa parole est accompagnée de gestes de puissance : il guérit et donne un commencement de réponse à la question du mal. Comment ?

C’est comme s’il proposait à ce monde marqué par la violence et la souffrance une alternative, comme s’il invitait la foule à entrer dans un monde harmonieux et cohérent : l’ère messianique où le lion vit en harmonie avec l’agneau, où l’enfant joue sur le nid du cobra sans danger, invitation donc à entrer de plein pied dans l’espérance messianique.  L’homme suffisamment en bonne santé cherche la cohérence, l’harmonie et la beauté. La misère du monde vient contredire, heurter, blesser ce vrai désir. Par son enseignement, par ses guérisons, par le miracle de la multiplication des pains, Jésus va réanimer, vivifier le désir messianique : Dieu va enfin libérer le monde de sa misère. Par son enseignement, ses guérisons et le miracle des pains, par son intimité avec la foule, Jésus annonce un monde pacifié, vainqueur du mal. C’est comme un oasis de paix et d’amour dans un monde violent et sans merci.

C’est l’expérience du paradis où peuvent se vivre cohérence, bonté, beauté et harmonie. Plus qu’un lieu, le paradis, c’est ce qui se passe entre nous quand chacun est situé à sa juste place et que circule entre nous la communion dont la Source est Dieu lui-même. La foule a été touchée mais Jésus se méfie de leur vision et attente messianiques. Jésus n’est pas un Messie descendu du ciel pour tout arranger instantanément sur la terre. « je suis descendu du ciel pour faire non pas ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé. » Certes, il est le Messie et il le confirme dans ce passage. Il est le Fils du Père, dit-il, et Dieu a mis son empreinte sur lui. Il est également l’envoyé. Ce sont deux titres messianiques bien connus dans l’Écriture. Les interlocuteurs de Jésus ont un passage à faire. Ce que Jésus va faire, c’est de les préparer à ce passage et c’est ce qu’il a anticipé avec les disciples.

La présence de Jésus, juste après la multiplication des pains et marchant sur les eaux dans la tempête est présence eucharistique non seulement dans l’intimité paisible et joyeuse autour du pain partagé mais aussi dans l’épreuve, dans l’angoisse de la mort. Il apaisera non seulement la tempête extérieure mais la tempête intérieure de la peur et de l’angoisse de la mort. C’est dans la profondeur de notre cœur que Jésus, maintenant, nous fait vivre cette intimité avec Lui comme les prémisses de ce monde messianique vivant en nous et entre nous. Si nous restons à la surface de nous-mêmes la rencontre se fera dans le tourbillon de nos vies psychiques où s’agitent tous nos mécanismes de défense, les troubles et les disfonctionnements et dans le choc de nos égoïsmes.

Où est l’ère messianique tant attendu, tant espéré? Dans notre coeur profond ! C’est le lieu de la nouvelle terre et du nouveau ciel. L’Esprit Saint qui a été livré dans notre coeur construit, consolide affermit en nous le monde messianique qu’il nous faut envisager comme monde intérieur ouvert sur le monde. Ce que le Seigneur fait en nous, nous peuple sacerdotal, c’est l’harmonie, la cohérence, un monde pacifié et pacifiant. Pas seulement pour notre salut mais pour le salut du monde. Tant de fois nous avons entendu « l’Eucharistie est la source et le sommet de la vie chrétienne ». L’Eucharistie, mystère de la rencontre ! Qui rencontrons-nous ? Rayonne-t-il de cette rencontre une « onde de charité » qui se diffuse dans toute notre vie ?

Puisse cette solennité du Saint Sacrement, renouveler en nous notre soif eucharistique et que l’énergie eucharistique fasse que nous «  devenions ce que nous recevons ».