Marc, Mathieu et Luc, tous les trois soulignent fortement la lumière qui rayonne du visage de Jésus. Le visage du Christ manifeste la splendeur de sa nature divine, cachée sous le voile de la chair. En Lui, la divinité s’est unie sans confusion avec la nature humaine. Au sommet de la montagne, les trois disciples Jacques, Jean et Pierre assiste non pas à un spectacle nouveau concernant leur maître qu’ils ont suivi, mais la manifestation, éclatante en Lui de sa divinité. A ce moment, l’union en Jésus du divin et de l’humain leur est clairement révélée. Ce n’est pas sans conséquence pour l’humanité puisqu’apparaît le projet de Dieu, c’est-à-dire la divinisation de l’homme.
Quand resplendit une lumière sur le visage de Moïse au Sinaï, elle venait de l’extérieur (Livre de l’Exode 34. 29) Au Thabor, c’est le visage du Christ qui est source de lumière, source de la vie divine rendue accessible à l’homme et qui se répand aussi sur ses vêtements, c’est-à-dire sur le monde extérieur à lui-même, sur l’humanité. Saint Jean exprime cela dans les premiers versets de son évangile: « La Parole de Dieu était la lumière véritable qui illumine tout homme venant dans le monde… nous avons contemplé sa gloire comme étant celle du fils unique d’auprès du Père, pleine de grâce et de vérité. » (Jean 1. 9 et 14) La lumière qui rayonne de Jésus transfiguré révèle donc sa divinité mais pourquoi cette lumière ? C’est le symbole de ce qu’Il partage avec le Père. La Transfiguration nous révèle l’Amour entre Jésus et son Père. Cette lumière qui resplendit de Jésus est sacrement de l’Amour qui les unis. Elle est elle-même indescriptible car elle éveille à une réalité d’une intensité inouïe. Cette qualité d’Amour est offerte à tous les hommes par l’Incarnation du Verbe qui vient déposer à l’intérieur de chaque vie humaine la semence d’une telle relation. Elle ne peut grandir en nous que si nous nous tournons avec les trois disciples vers Jésus. Quelle est la spécificié de Luc par rapport à Marc et Mathieu. Deux éléments qui lui sont propres : l’allusion à la Passion et à Gethsémani et la mention de Jésus en prière lors de la Transfiguration. Luc est le seul des évangélistes à révéler le contenu de l’échange entre Jésus, Moïse et Elie. « Voici que deux hommes s’entretenaient avec lui : c’étaient Moïse et Élie, apparus dans la gloire. Ils parlaient de son départ qui allait s’accomplir à Jérusalem. » Le mot départ est chargé de sens. C’est de la Passion et de la Résurrection dont ils parlent. Chez Luc le départ de Jésus vers Jérusalem, c’est l’annonce de la Passion. L’évangile de Luc est construit comme cela, tout tendu vers la Passion qui est le but que se donne Jésus et que Luc relate dans le verset 51 du chapitre 9 : « Comme s’accomplissait le temps où il allait être enlevé au ciel, Jésus durcit son visage et prit la route de Jérusalem. » « Durcit son visage » c’est la référence à un autre texte biblique qui est le passage d’Is 53 appellé, « oracle du serviteur souffrant ». Luc annonce déjà que la croix est le lieu de la transfiguration de la souffrance. Comment accorder ces deux révélations : transfiguration et souffrance rédemptrice du Christ ? En reliant Transfiguration et Passion, Luc donne un élément de réponse en révélant d’une manière codée une autre référence, c’est l’allusion à Gethsémani. Luc est le seul à parler du paradoxal sommeil des trois disciples. Comment dormir devant Jésus transfiguré ? Pour Luc, c’est un lien esquissé pour que nous puissions relier Transfiguration et Gethsémani. De plus, au jardin des oliviers, ce sont les mêmes apôtres qui sont accablés de sommeil.
Gethsémani, c’est Dieu livrée au creux de l’angoisse et de la souffrance. C’est le lieu de la souffrance du Christ visité par Dieu lui-même.
Le Christ accepte pleinement par amour de vivre l’absurdité de la souffrance pour lui donner un sens. Comment peut-on donner un sens à la souffrance ? Seul Le divin peut le faire. Quand le divin touche la blessure humaine, les mots peuvent être posés comme une mise à distance. « Que cette coupe s’éloigne de moi ». Ces mots jaillissent de la souffrance innocente et disent l’absurdité de la défiguration qu’elle provoque.
« Père non pas ma volonté mais ta volonté ! » Dans un deuxième temps, après avoir vécu l’angoisse, la volonté humaine du Christ dans un arrachement douloureux s’ajuste à sa volonté divine. Se résout alors dans ce feu de l’amour divin, le paradoxe du scandale du mal et de l’éternel Innocence de Dieu. Dieu, sans complicité avec le mal, assume l’absurdité de la souffrance au cœur même de la pâte humaine et lui donne son sens, l’Amour. Les fruits de ce don de soi jusqu’au paroxysme de l’Amour, c’est la résurrection. Pour nous donner de partager sa vie filiale, Jésus va assumer toutes les ténèbres de notre humanité ; péchés, blessures, souffrances … Dans la lumière dans laquelle il vit dans la communion avec son Père, il sait combien nous avons bien du mal à accueillir cette énergie d’amour qui ne demande qu’à nous traverser et nous emnener au-delà de nous-même. Cette lumière, le Christ va aller la déposer au cœur des ténèbres par sa Passion et sa Croix. Nous sommes invités à déposer sans cesse nos péchés, nos ténèbres, nos blessures dans le Christ. En échange, nous recevons une capacité nouvelle d’accueillir la lumière de la communion avec le Père dans l’Esprit saint. Ce que vit Jésus avec son Père et qui nous est révélé dans la lumière du Thabor, nous le recevons en quelque sorte au Calvaire ; lorsque nous remettons dans le cœur transpercé de Jésus toutes nos ténèbres, les nôtres et celles des autres, nous sommes enfants de lumière même si cela ne semble pas évident pour nous. Nous recevons dans notre cœur profond la communion avec le Père, cette communion manifestée en notre faveur dans la Résurrection de Jésus.
Un autre axe fort de Luc, c’est qu’il décrit Jésus priant constamment son Père. Luc est le seul évangéliste qui précise que Jésus priait lors de la Transfiguration. Une priante et moi-même, nous avons accompagné une psychologue qui souffait d’intenses angoisses. Elle était d’une lucidité redoutable. Elle avait analysé toute l’histoire de sa vie, en long, en large et en profondeur mais pas en hauteur. Une chose est de nommer, d’analyser, de comprendre ce qui s’est joué et noué dans son histoire et une autre chose est d’ouvrir ces mots à la lumière. Certes nommer met à distance la souffrance psychique mais prier sur ces mots est d’un autre ordre. Se mettre en prière, c’est donner la permission au Seigneur d’œuvrer. Dès le début de la prière, cette jeune femme était incapble de donner cette permission au Seigneur. Au bout d’un long combat intérieur, elle a fini par le faire et a constaté tout le bien que Dieu a fait en elle dans son psychisme apaisé, libéré. J’ai alors compris qu’il existait deux modalités différentes certes mais qui se complètent : la mise en mots de nos maux et l’accueil de l’Esprit Saint dans le mal que nous avons réussi à nommer. Que nous faut-il pour le carême ? La prière : Seigneur apprend moi à prier pour que l’Esprit Saint puisse venir me guérir dans tout ce dont j’ai pris conscience pour l’ouvrir à ton action. Que nous faut-il pour le carême ? La foi. « Ecoutez-le », nous dit le Père, c’est-à-dire faites-lui confiance. « Seigneur augmente en nous la foi pour que l’Esprit saint souffle dans nos vies.
Bmg