Introduction : On oppose souvent l’importance que la Transfiguration a, dans la tradition orientale, au peu d’importance que lui accorde l’occident latin, qui en a fait une petite fête en été. Elle n’a pas été mise dans l’ordre des fêtes du salut comme l’Épiphanie, la Nativité, Pâques et la Pentecôte. Le Concile a revu cela en nous mettant le récit de la Transfiguration comme un étape primordiale sur le chemin vers Pâques au 2ème dimanche de Carême. Nous retrouvons un peu l’importance de la Transfiguration et a cessé l’une des réductions qui avait été faite en Occident, à savoir que ce n’était qu’une révélation faite aux disciples. Ce qui avait échappé, c’est que cet événement est aussi une révélation faite par le Père à son Fils. C’est un événement de l’histoire du salut et aussi un événement dans l’histoire personnelle de Jésus. Le Père révèle à son Fils que tout peut être accompli à partir de ce moment essentiel de glorification du Fils. Son Incarnation a accompli ce qui était annoncé dans le prologue de Saint Jean. « Au commencement était le Verbe… En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes ; la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée. […] Le Verbe était la vraie Lumière, qui éclaire tout homme en venant dans le monde. » Tout est accompli ! Et les dons de Dieu sont repentance. On peut imaginer que la mission du Christ s’arrête là. Pourquoi la Passion ? A travers les trois synoptiques, nous essaierons de comprendre pourquoi aller jusqu’au Golgotha puisque tout est donné au Christ dans sa Transfiguration. Le Christ est libre de choisir ou non d’aller vers sa Passion et sa Résurrection. L’amour n’est possible que dans une profonde liberté. Combien plus, en Dieu, le Père laisse libre son Fils.
Homélie : Je reprends la question de mon introduction. Pourquoi redescendre du Thabor ? Pourquoi monter vers le golgotha ? C’est là la liberté du Christ. Il est libre et décide d’aller jusqu’au paroxysme de l’amour qu’est la Passion et la Résurrection. En fait, il choisit d’aller vers la Lumière de la Résurrection en passant par les ténèbres de la Passion. Christ a choisi ce chemin par amour pour nous accompagner dans notre cheminement quand nous devons traverser la détresse. Il y a maintenant une vingtaine d’années, au centre hospitalier Edouard Rist à Paris où j’étais aumônier, j’ai pu rencontrer Corinne, 45 ans hospitalisée. Brutalement devenue hémiplégique à cause d’un accident cérébral autant brutal qu’imprévisible. Elle perd tout. Danseuse, professeur de danse, chorégraphe, elle se voit réduite à rien. Mariée depuis toujours avec sa passion, la danse, elle n’a pas fondé de famille, elle réalise qu’elle n’a plus rien. Elle n’a pas la foi et elle ne voit que des murs autour d’elle. Désespérée, la seule issue est le suicide et elle décide de le faire rapidement. Un peu par provocation mais surtout comme un dernier appel au secours, elle m’en parle. Comment choisir la vie alors qu’il n’y a que la mort ?
Une image mentale m’est apparue : celle d’un tunnel tellement long que l’on ne voit pas la lumière. Je lui en ai fait part. Elle m’a dit que c’était exactement cela. « Vous n’avez aucun espoir, lui ai-je dit. Vous n’avez donc rien à perdre. Pourquoi ne pas accueillir ce que je vais vous dire ? Il existe au bout de ce tunnel une lumière. Imaginez là puisque vous ne pouvez la voir et croyez qu’elle est là et que vous pourrez aller vers elle. » A partir de cette parole à laquelle elle adhère dans sa nuit, elle prend la décision de vivre et tout s’est enchaîné. La lumière à laquelle, elle a cru, c’est la lumière que Pierre, Jacques et Jean ont vu sur le Mont Thabor. Marc, Mathieu et Luc, tous les trois soulignent fortement la lumière qui rayonne du visage de Jésus. Le visage du Christ manifeste la splendeur de sa nature divine, cachée sous le voile de la chair. En Lui, la divinité s’est unie sans confusion avec la nature humaine. C’est ce que contemplent Pierre, Jacques et Jean devant le Christ transfiguré. Toujours en son prologue, Saint Jean l’exprime avec une telle justesse « La Parole de Dieu était la lumière véritable qui illumine tout homme venant dans le monde… nous avons contemplé sa gloire comme étant celle du fils unique d’auprès du Père, pleine de grâce et de vérité. » (Jean 1. 9 et 14) La lumière qui rayonne de Jésus transfiguré révèle donc sa divinité.
La gloire en Dieu, c’est le rayonnement de son amour. Le symbole de cette amour, c’est la lumière. C’est ce qu’Il partage avec le Père. La Transfiguration nous révèle l’Amour entre Jésus et son Père. Cette lumière qui resplendit de Jésus est sacrement de l’Amour qui les unis. Elle est elle-même indescriptible car elle éveille à une réalité d’une intensité inouïe. Cette qualité d’Amour est offerte à tous les hommes par l’Incarnation du Verbe qui vient déposer à l’intérieur de chaque vie humaine la semence d’une telle relation. Elle ne peut grandir en nous que si nous nous tournons avec les trois disciples vers Jésus. Luc est le seul des évangélistes à révéler le contenu de l’échange entre Jésus, Moïse et Elie. « Voici que deux hommes s’entretenaient avec lui : c’étaient Moïse et Élie, apparus dans la gloire. Ils parlaient de son départ qui allait s’accomplir à Jérusalem. » Le mot départ est chargé de sens. C’est de la Passion et de la Résurrection dont ils parlent. Chez Luc le départ de Jésus vers Jérusalem, c’est l’annonce de la Passion.
L’évangile de Luc est construit comme cela, tout tendu vers la Passion qui est le but que se donne Jésus et que Luc relate dans le verset 51 du chapitre 9 : « Comme s’accomplissait le temps où il allait être enlevé au ciel, Jésus durcit son visage et prit la route de Jérusalem. » « Durcit son visage » c’est la référence à un autre texte biblique qui est le passage d’Is 53 appellé, « oracle du serviteur souffrant ». Luc annonce déjà que la croix est le lieu de la transfiguration de la souffrance. Comment accorder ces deux révélations : transfiguration et souffrance rédemptrice du Christ ? Parce que se résout alors dans ce feu de l’amour divin, le paradoxe du scandale du mal et de l’éternel Innocence de Dieu. Dieu, sans complicité avec le mal, assume l’absurdité de la souffrance au cœur même de la pâte humaine et lui donne son sens, l’Amour. Les fruits de ce don de soi jusqu’au paroxysme de l’Amour, c’est la résurrection.
Pour nous donner de partager sa vie filiale, Jésus va assumer toutes les ténèbres de notre humanité ; péchés, blessures, souffrances … Dans la lumière dans laquelle il vit dans la communion avec son Père, il sait combien nous avons bien du mal à accueillir cette énergie d’amour qui ne demande qu’à nous traverser et nous emnener au-delà de nous-même. Cette lumière, le Christ va aller la déposer au cœur des ténèbres par sa Passion et sa Croix. Nous sommes invités à déposer sans cesse nos péchés, nos ténèbres, nos blessures dans le Christ. En échange, nous recevons une capacité nouvelle d’accueillir la lumière de la communion avec le Père dans l’Esprit saint. Ce que vit Jésus avec son Père et qui nous est révélé dans la lumière du Thabor, nous le recevons en quelque sorte au Calvaire ; lorsque nous remettons dans le cœur transpercé de Jésus toutes nos ténèbres, les nôtres et celles des autres, nous sommes enfants de lumière même si cela ne semble pas évident pour nous. Nous recevons dans notre cœur profond la communion avec le Père, cette communion manifestée en notre faveur dans la Résurrection de Jésus. Que nous faut-il pour le carême ? La prière : Seigneur apprend moi à prier pour que l’Esprit Saint puisse venir me guérir dans tout ce dont j’ai pris conscience pour l’ouvrir à ton action. Que nous faut-il pour le carême ? La foi. « Ecoutez-le », nous dit le Père, c’est-à-dire faites-lui confiance. « Seigneur augmente en nous la foi pour que l’Esprit saint souffle dans nos vies.