Notre monde actuel souffre. Nous sommes là impuissants à suivre ce flot continuel d’informations parfois contradictoires et qui ne nous rassurent pas. Aucun répit, comment trouver un second souffle ? Toutes nos forces de compassion s’épuisent, tellement nos cœurs sont parfois fatigués. Comment refaire des réserves de compassion, comment purifier nos justes révoltes, comment trier et agir. 

Dans l’évangile d’aujourd’hui, Jésus promet l’envoi de l’Esprit Saint. C’est le feu de l’amour trinitaire qui, brûlant mais ne se consumant pas, peut sauver en nous nos forces d’espérance, c’est lui qui est capable de nous mettre en route mais pas forcément au bout du monde, peut-être tout simplement au bout de notre rue, en notre maison. Ce qui est à la portée de tous, c’est le cri vers Dieu. Dans la prière, nous sommes reliés à l’invisible où peuvent se jouer dénouements heureux en réponse à notre intercession.

L’intimité avec le feu d’amour brûlant mais ne dévorant pas rejoint la Source de toute compassion qu’est la Trinité. Prier certes mais dans l’ouverture à plus que nous même dans le silence de notre cœur profond où Dieu est présent.

St Augustin dit « qui voit la charité, voit la Trinité ». Quel est le lien entre Trinité et charité ? Quel est le lien entre Dieu Un et Trine, c’est-à-dire Relation, Élan vers l’autre d’une part et captivité d’autre part ? A l’époque de Saint Jean de Matha existait une captivité criante. Sur la mer, lors des croisades, lors des razzias jusqu’en nos vallées, des chrétiens étaient réduits en esclavages et emprisonnés en pays musulmans. 

Pourquoi Saint Jean de Matha donne-t-il à l’Ordre le nom de Trinité ? Au début du 13ème siècle, l’Ordre de la Sainte Trinité et des captifs est en confrontation-négociation avec l’Islam qui accuse les chrétiens d’être tri-théistes. Cette référence à la Trinité est donc pour Jean de Matha un handicap pour négocier le rachat des captifs mais également signe qu’il y accorde une importance vitale. Il tient à présenter l’Ordre qu’il met en place comme œuvre jaillissant de l’Amour Trinité comme sa source, « ordre de la sainte Trinité » mais aussi « des captifs ». Trinité comme source d’amour mais aussi de libération et guérison. Pour lui, Trinité et Captivité sont donc intimement liées.

C’est Jésus qui nous l’explique sur la Croix. Christ, Captif sur la Croix, tout tourné vers le Père nous livre l’Esprit. Comment relier Dieu un et trine et la souffrance du Christ sur la croix ?

La seule clef de compréhension pour comprendre le scandale de la Croix, c’est le mot amour, non l’amour dont nous sommes ordinairement capables mais l’amour qu’il y a en Dieu. En Dieu, de toute Éternité, il y a l’oubli de soi pour l’Autre, l’Autre de la relation. Il y a la kénose en la Trinité. La mission du Fils, c’est de le dire dans notre humanité, non pas seulement par des discours mais en actes et en vérité. La Croix révèle l’absolu du Don, l’absolu de l’Amour qu’il y a en Dieu. La plénitude en Dieu est une plénitude d’amour, don total, kénose de l’amour.

Dieu aime l’humanité. Il ne supporte aucun des scandales qui usent nos forces d’indignation. C’est ce que nous appelons dans la bible la colère de Dieu : colère qui brûle mais ne consume pas, colère constructive qui veut passer par nos propres forces de compassion pour libérer, remettre debout, réparer, restaurer, agir auprès de tout homme entravé dans sa croissance humaine et spirituelle.

S’ouvrir à la Présence de Dieu en soi, s’ouvrir au prochain, c’est donc le même mouvement. Le monde qui m’entoure, j’en suis responsable autant que du monde intérieur qui relève davantage de mes prises de conscience, du travail sur moi-même et de ma vie spirituelle. Chaque être humain porte en lui un désir de plénitude, d’harmonie, de cohérence, de justice et de solidarité. L’homme suffisamment en bonne santé cherche la cohérence, l’harmonie et la beauté. La misère du monde vient contredire, heurter, blesser ce vrai désir. Pour éviter les inévitables tensions entre nos désirs et la réalité, nous élaborons, inconsciemment ou non, de savantes stratégies qui nous rassurent et nous protègent, mais nous perdons un peu de notre humanité et surtout de notre lucidité. Voyons-nous vraiment le monde, voyons-nous vraiment la misère du monde ? Avons-nous tendance à l’occulter? Où sont nos tentations ? Indifférence, violence, bons sentiments, mépris, condescendance, idéologie. Attention à l’amertume, à l’accusation de l’autre. Attention à l’activisme. Attention à l’idolâtrie de notre propre action. Si nous acceptons la confrontation avec ce monde inachevé, en souffrance, tout en gardant notre désir d’un monde plus juste, solidaire, si nous ne cherchons pas à fuir ce déchirement, alors des forces de compassion capable de nous confronter au réel surgissent de notre propre vie intérieure où l’Amour de Dieu est présent et agissant.

Accueillons dans l’Eucharistie cette qualité d’amour. 

bmg