Le texte de l’évangile de ce dimanche est une des rares prières de Jésus. Dans les synoptiques, on en trouve deux : le Notre Père et le logion de la connaissance.
Chez Luc la phrase introductive à la prière de Jésus est différente.
« À l’heure même, Jésus exulta de joie sous l’action de l’Esprit Saint »
Dans la précision qu’il donne de l’exultation de Jésus en son Père. C’est comme si Luc prévenait : « ce qui va suivre est fondamental » C’est comme si nous étions invités à la joie du Seigneur dans sa relation à son Père sous la puissance d’amour de l’Esprit Saint.
Ce qui est livré c’est l’intimité du Père, du Fils et du saint Esprit, c’est-à-dire l’amour qui circule dans la Trinité ! « Donne nous Seigneur accès à cet amour.
« Tout m’a été remis par mon Père ; personne ne connaît le Fils sinon le Père, et personne ne connaît le Père sinon le Fils ». Connaître, c’est le mot biblique pour dire aimer. Un amour inaccessible ? Certes non ! Jésus rajoute et « celui à qui le Fils veut le révéler ».
Nous sommes désireux d’entrer dans cette intimité qui nous est proposée. Notre cœur peut-il l’accueillir ?
A qui Jésus propose cette intimité : « aux tout-petits ». A qui cet amour n’est pas accessible : « aux sages et aux savants ».
Plus précisément, à ceux qui pensent savoir, qui pensent être sages. Pour reprendre le texte de Paul ceux qui vivent selon la chair. Vivre selon la chair, c’est vivre uniquement dans la fragilité de la chair. C’est ne se recevoir que de soi, enfermé autour de son petit moi, non relié à la source qu’est l’amour de Dieu. C’est ne pas comprendre qu’être libre c’est travailler pour que son petit moi soit en Alliance avec l’amour qu’est Dieu. Découvrir sa dimension spirituelle est pour l’homme un vrai défi et souvent une vraie consolation surtout quand la souffrance, la précarité, un certain dénuement viennent en faire une question vitale. Découvrir sa dimension spirituelle est une source de joie car ce lieu intérieur est un espace à explorer, il est un espace d’accueil d’un au-delà de soi. L’intériorité spirituelle est spécifique. Elle n’est pas en soi une capacité naturelle propre à l’homme. Elle prend naissance dans la liberté de la personne qui se décide pour cet au-delà de lui-même. C’est dans cette intériorité que se vivent la foi et l’espérance, c’est dans cette intériorité que grandit notre capacité à aimer. Si cette intériorité est délaissée, abandonnée, elle se rétracte et devient incapable de vivre cet au-delà de soi. La vie spirituelle s’étiole alors. Dans le cas contraire, le cœur profond se dilate et exulte. L’intelligence, la culture ne sont pas des handicaps à cette connaissance dont parle Jésus. Ce qui est obstacle, c’est la fermeture du cœur autour d’un savoir, c’est surtout la suffisance qui enferme dans les limites du moi. Le tout-petit a besoin que l’on s’occupe de lui, il dépend de l’amour de sa mère. Dans le langage historique de l’époque de l’évangile, le tout petit, c’est le nourrisson, celui qui est à la mamelle. Il est le symbole des petits qui sont exclus par les sages et les savants que sont les autorités religieuses au temps de Jésus. Par exemple, ces petits sont les bergers, les conducteurs d’ânes, les vendeurs itinérants, les tanneurs de peau, les collecteurs d’impôts, sans parler des centaines de personnes expulsées de leur village parce qu’elles ont des problèmes de peau. Tous ceux-là sont privés de leurs droits civiques élémentaires, interdits comme témoins dans un procès, interdits d’entrer dans une synagogue et de participer à la vie communautaire du village.
Pourquoi sont-ils exclus ? Ils ne peuvent suivre les 613 commandements imposés par les scribes et les pharisiens. La thorah dont le décalogue est le cœur est un soutien, un guide pour ne pas se perdre et non un fardeau qui écrase, exclut, humilie.
Un autre fardeau est proposé par Jésus, plus léger, plus facile à porter.
« Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos. Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos. Oui, mon joug est facile à porter, et mon fardeau, léger. » Mt 11,28-30
Je vous livre une confidence qu’un prêtre nous a fait lors d’une retraite qu’il prêchait aux prêtres du diocèse.
« Ce texte m’a longtemps attiré et en même temps interrogé. Attiré parce que, moi aussi, j’ai connu un passage à vide au cours duquel je me suis rendu compte que je perdais ma joie. Alors, quand j’entendais : si vous n’en pouvez plus, venez à moi, ça m’attirait. Mais la suite me repoussait car le joug n’évoque pas bien le repos pour moi. Je me rappelle un poster où l’on voyait une paire de bœufs attelés par un joug en train de labourer, ce poster était merveilleux car on voyait les muscles de ces mastodontes en action. Alors, si c’est ça le repos promis, non merci ! Et puis un jour, je ne sais plus comment ou grâce à qui, j’ai compris que le joug, c’était ce qui permettait de tirer à deux. C’est comme si j’avais entendu Jésus me dire : tu es fatigué parce que tu as voulu jouer au fort et tirer la charrette de ta vie et de ton ministère tout seul, tu t’es épuisé, ce n’est pas étonnant. Reconnais et accepte ta fragilité, alors, tu me prendras à tes côtés et tu pourras aller plus vite, plus loin et avec bien moins d’efforts ».
Surtout ne pas perdre le cap, accepter que notre destination c’est l’amour de Dieu qui nous espère et nous attend. La nourriture dont nous avons besoin c’est l’Eucharistie qui nous rend dépendant d’une bonne dépendance, celle de l’amour de Dieu et qui nous permet d’aimer avec justesse les autres et nous-mêmes car notre cœur n’est pas fermé. Il est fait pour aimer et être aimé.