Deux personnages dans ce texte : une veuve qui crie à l’injustice et un juge qui ne craint ni le regard de Dieu ni celui des hommes. Ce juge est un mur qui refuse d’entendre la demande de la veuve qui traditionnellement dans la bible symbolise la précarité. Pour tout croyant, c’est un devoir de soutenir la veuve et pour le juge de lui rendre justice. Le refus du juge est donc un scandale pour les auditeurs qui écoutent Jésus. La situation de la veuve semble désespérée : une femme dans un monde d’hommes ; une pauvre sans influence devant un juge tout-puissant. Elle ne peut faire appel ni à la piété du juge, ni à son sens de la justice, ni à son sens de l’honneur communautaire. Il ne respecte rien.  Le dénouement est surprenant. L’adversité à force de persévérance de la plaignante cède et le mur du refus s’effondre. Toute cette scène est tirée de situations réelles, concrètes où règne l’injustice. Dans la deuxième partie de son récit, Jésus va quitter le niveau humain, celui de la vie concrète de chaque jour pour basculer la parabole au niveau de la relation à Dieu. Si déjà des méchants cèdent à la prière persévérante, combien plus, Dieu qui est bon, exaucera ses enfants. Dans ce basculement de la parabole, nous sommes invités à nous élever aux lois du Royaume.

Nous pouvons lire cette parabole à plusieurs niveaux.

 

  • Premier niveau : le contexte. Au moment où Luc écrit son évangile, beaucoup se découragent, à force d’attendre Jésus qui ne revient pas. « Cependant, le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » Attendre le Royaume passivement, c’est ne pas comprendre que Le Royaume inauguré par Jésus est déjà là. Il est donné sur la Croix, dans la puissance de la Résurrection au creux même de l’Amour qui se livre. Attendre passivement , en trouvant le temps long est épuisant. Par contre, être activement tendu vers le Royaume déjà là, en nous et autour de nous, est stimulant. C’est l’invitation que Luc adresse à ses contemporains. Thérèse de Lisieux l’a bien compris quand elle dit : “…je comprends et je sais par expérience que le Royaume de Dieu est au-dedans de nous. »  La foi et la prière s’appuient alors sur l’avènement de Jésus au cœur des hommes et dans les transformations du monde pour plus de justice et de respect de l’homme.

 

  • Deuxième niveau : dans notre vie personnelle. Qui n’a pas fait l’expérience d’être surpris par la réponse de Dieu à ses prières ? Nous attendions une réponse et nous ne l’avons pas eu. Nous avons insisté pour que notre volonté soit faite et nous avons oublié que la volonté de Dieu aussi doit se faire. Dieu veut que nous voulions mais il veut aussi vouloir pour que nos deux volontés se rencontrent, la sienne et la nôtre. Quand nous accueillons sa réponse et si nous voulons bien l’entendre, elle nous surprend. Sa réponse, c’est souvent une transformation intérieure. La joie de Dieu, c’est notre prière car il peut alors transformer notre cœur. Bien au-delà de nos demandes, il nous donne l’Esprit. La prière nous change pour que nous nous laissions animer par Dieu.

 

  • Le troisième niveau, c’est l’expérience du Royaume au creux d’une grande détresse. Une des plus grandes souffrances est celle d’une mère qui perd sa fille unique assassinée. J’ai accompagné une telle maman pour qu’elle puisse affronter l’assassin de sa fille à un procès d’assises. Je vous livre un des textes qu’elle a écrit : « Chloé, ma fille est morte assassinée. Horreur, frayeur, sidération…aucun mot ne sera assez puissant ni assez juste pour décrire le choc que ce fut. Et pourtant, au-delà du gouffre de souffrance et d’angoisse qui s’ouvrait à moi, j’ai découvert, sur le chemin de conversion empruntée, des peurs d’un tout autre ordre, de ces peurs qui vous envahissent quand l’inconnu se présente fortuitement à vous. Dans un premier temps certes, j’ai accusé Dieu le Père d’être le premier responsable de la disparition de ma fille. En perdant Chloé, j’avais déjà perdu plus que ma vie, Il me fallait perdre plus encore pour l’offrir au Vivant, à Dieu lui-même, c’est-à-dire me dépouiller de tous mes vêtements de mère. Vers quel précipice, j’allais? Dans quel abîme, plus profond encore, allais-je sombrer? Et c’est toute tremblante que je suis venue la déposer au pied de la crèche, en ce premier Noël qui a suivi sa disparition… Dieu n’a pas ouvert un gouffre sous mes pieds, bien au contraire, il m’a ouvert tout grand son cœur…en un indicible cœur à cœur ».

 

  • Le quatrième niveau, c’est quand Dieu nous permet d’élargir notre prière. Plus notre cœur se laisse transformer, plus il devient cœur de chair, plus il prend conscience de la blessure du monde qui s’étale aux yeux de Dieu. Notre pauvre prière semble bien dérisoire face à la souffrance du monde. Ne négligeons pas la puissance d’intercession pour le monde. Dieu veut s’appuyer sur le souffle de notre pauvre prière pour faire grandir son Royaume dans le monde. Le souffle du monde qu’Il ausculte dans un cœur qui prie, c’est son propre souffle qu’Il a insufflé à sa créature. Ensemble quand l’Eucharistie sera élevée sur l’autel, donnons à Dieu notre pauvre prière d’intercesseur pour que la terre promise, l’ère messianique, le Règne de Dieu grandissent en nos cœurs et dans le monde.

Bmg