Moi, je suis la vraie vigne, et mon Père est le vigneron.

Tout sarment qui est en moi, mais qui ne porte pas de fruit, mon Père l’enlève ; tout sarment qui porte du fruit, il l’émonde, pour qu’il en porte davantage.

C’est d’une exigence radicale ! Vous avez intérêt à porter du fruit sinon vous êtes licenciés pour le dire d’une façon abrupte.

Si vous portez du fruit, vous êtes émondés et ça fait mal d’être émondés.

Il faut reconnaître que la perspective, enfer et châtiments, est peu engageante. Cependant, elle est percutante comme si Jésus nous disait : ce que j’essaie de vous faire comprendre est d’une grande portée. Écoutez et ne tergiversez pas, c’est tellement vital. Vital, c’est le mot car ce qui est en jeu, c’est le lien vital entre le disciple et Jésus.

C’est ça être sarment, être disciple, c’est adhérer à Jésus dans la foi et l’amour, dans une attitude de conversion permanente, un amour qui soit signe pour le monde par sa qualité et son intensité.

Quand Dieu touche notre cœur, il passe par notre intériorité. Mais quelle intériorité ? L’intériorité organique où se vit la croissance du corps? L’intériorité psychologique où se jouent les sentiments? L’intériorité intellectuelle où l’on fait l’expérience de la vérité? L’intériorité de la personne où se prennent les décisions morales? Oui certes mais pas directement.  Là où Dieu touche le disciple, là où il transforme son cœur, c’est dans une intériorité plus profonde, plus secrète. Le « demeurer » si utilisé par Jean dans son évangile vise cette profonde intériorité. Celle d’où peut surgir une nouvelle vitalité. C’est la source d’eau vive jaillissant en vie éternelle promis à la Samaritaine. Oui, Il existe un domaine très profond : le domaine spirituel où le Christ vit dans le croyant. Ce domaine n’est pas là de lui-même comme une région appartenant à la nature de l’homme mais le Christ la crée dans le mystère de la nouvelle naissance : c’est dans cette intériorité que se vivent la foi, l’espérance et l’amour.

Si cette intériorité n’est pas nourrie dans un lien vital entre le croyant et Jésus, elle se dessèche. D’où la nécessité de se laisser purifier en allant sans cesse à la source. La pureté, ici, est donnée par le Christ. Comme cette eau de la source est pure, alors nous, qui y avons accès, nous pouvons goûter à cette pureté.

Demeurer, c’est comprendre que nous sommes infiniment plus que nous ne paraissons être. Quant à l’émondage, la vie souvent s’en charge mais pas seulement, pas sans la participation du disciple. Prenons l’exemple de Thérèse de Lisieux. La vie ne l’a pas épargnée :   profonde blessure d’enfance lors de la mort de sa mère, départ de ses grandes sœurs au Carmel, son père perdant la tête, la tuberculose de Thérèse qui l’emportera. Cela n’a pas été sans elle. Elle-même a participé à l’émondage que Dieu a fait en elle, en pratiquant une certaine ascèse : aimer une sœur grincheuse, accepter certaines médiocrités de la vie du Carmel de Lisieux, aimer l’austérité de la vie carmélitaine, la clôture. Par amour pour Dieu, pour ses proches, pour ses sœurs, pour l’humanité, elle a accepté d’être émondé par les événements tragiques de sa vie et par ses choix de vie, par son adhésion et sa confiance à Dieu, Source de l’amour.

Chez Saint Jean, le mot demeurer a ce sens d’ouverture confiante à Dieu et aux autres.

Demeurer, c’est se mouvoir vers la profondeur de son être pour aimer en vérité. Est-ce réservé aux Saints dont les vies nous sont données en exemple ? Les « quidam » ont-ils accès à cette profonde intériorité ? Et ceux aux psychismes disgraciés sont-ils appelés à cette profondeur où Dieu les espère et les attend ? Permettez-moi le récit d’une aventure spirituelle et artistique dans le cadre de Toussaint 2004, à Paris. A la paroisse Saint Leu, nous avions joué une pièce de théâtre avec les gens de la rue,

Le titre de la pièce est « l’Ami Jules ». Le texte a été mis en scène par Catherine Fantou-Gournay. La trame de l’histoire s’est construite, petit à petit, à travers les nombreux échanges, où chacun a bien voulu livrer un peu de sa vie.

De sa conception jusqu’à sa réalisation, le Seigneur a rassemblé dans cette aventure des personnes si différentes, si blessées parfois, des professionnels du théâtre, un avocat, des gens de la rue, des artistes, des musiciens, des religieux, des jeunes, des moins jeunes, des membres de l’Association « Aux Captifs la libération » ? Bref, une équipe des moins homogènes ! Mais quel défi passionnant et périlleux à la fois !

Alors je me suis dit : « Voilà le laboratoire du laboratoire», laboratoire de l’amour mutuel ! »

Voilà l’histoire : au point de départ, un cri : « Jules est mort !». Il vient d’être tué par d’autres gars de la rue. La nouvelle se répand et la colère des amis de Jules éclate.

Pendant les quatre premières scènes, les amis de Jules tentent de sortir de l’escalade de la violence en prenant progressivement conscience de la stérilité de leur propre violence. Ils se mettent d’accord sur le projet de faire la fête à la mémoire de Jules. Pourtant dans la dernière scène, le désordre intérieur de chacun éclate en une grosse bagarre, suivie d’un temps de découragement et d’accablement.

Un des personnages tente d’ouvrir une brèche : Et si Jules attendait qu’on lui donne ce que l’on a de mauvais ? C’est alors que tout bascule. Cette proposition éclate dans les consciences comme une illumination pour une nouvelle naissance. Je veux jeter mes vieilles loques, la peur qu’on ne m’aime pas, dit l’un. J’ai compris, c’est le grand nettoyage de printemps, dit l’autre.

Dans un grand élan du cœur, chacun, à tour de rôle, va remettre ses vieilles loques, donner ses peurs : peur de vivre, peur de mourir, peur des autres, peur de souffrir, peur de toi, Dieu…

La fête est alors possible ! D’où a surgi cette fulgurante intuition de tout remettre au Seigneur sinon du plus profond de cœurs blessés par la vie ? C’est donc une expérience profonde de vie spirituelle, de communion à la vie divine.  La pièce se termine sur cette dernière réplique :

Même une vieille clémentine bosselée, si tu la creuses autour de la mèche, que tu mets de l’huile et que tu l’allumes, elle rayonne de lumière.

Cette phrase est, pour moi, aujourd’hui, parole de Sagesse.

Oui, Christ nous libère de l’image négative que nous avons de nous-même, nous creuse, nous approfondit, nous enrichit de son Esprit pour que nous puissions rayonner sa lumière. Belle et profonde alchimie ou plutôt metanoia qui prend sa source dans l’Eucharistie.

Bmg